Extrait du prologue :
Je me suis toujours fait une certaine idée des trésors. Mais le mot, le mot magique avec son grand T demande définition.
Dans ma définition, le noble métal jaune ne figure pas seul. Le mot «Trésor» recouvre aussi, à part entière et sans discriminer, toutes les sortes de découvertes, aussi bien tout objet d’importance historique, sentimentale ou financière, que toute sensation, intellectuelle ou viscérale, que je parviendrais à pêcher dans un dépôt d’archives poussiéreux ou bien au fond d’un océan. À son découvreur donc, un trésor apporte tout, tout ce qui compte.
Il m’a toujours semblé aussi qu’il ne serait pas très raisonnable de vivre raisonnablement quand on pourrait bien n’avoir qu’une seule vie à vivre et comme j’ai toujours craint que cela puisse être mon cas, j’ai choisi très tôt de ne remplir ma vie que de passe-temps qui soient plaisants.
Ces passe-temps pourvoyeurs des joies de l’esprit autant que de nourritures terrestres, ce furent tantôt ces choses agréablement dangereuses qui font battre le coeur plus fort et que je faisais bien prudemment pour pouvoir en faire longtemps, tantôt ces choses un peu folles ou farfelues et volontiers romanesques, que je faisais bien sérieusement afin de les réussir aussi souvent que possible.
Et comme j’ai eu raison. Comme j’ai eu raison de ma première épave pourchassée à ma première pièce d’or retrouvée, de ne penser à rien d’autre, et comme j’ai eu raison, depuis cette première pièce d’or, de ne vivre que pour en trouver d’autres et leur faire raconter leurs histoires.
La première pièce que j’ai trouvée sous la mer, je l’ai embrassée, oui. Mais cette pièce, il y avait treize ans que je la cherchais. Ce baiser, treize ans que je le retenais. Et ce n’était pas le baiser sec d’Harpagon, mes lèvres, boursouflées autour de l’embout par le froid de l’Atlantique Nord, ne se tendaient pas vers la demi-once de métal jaune et son pouvoir d’achat. J’embrassais de l’histoire écrite sur de l’or, j’embrassais le profil d’un roi dont, en d’autres temps, j’eusse été le sujet, j’embrassais des armoiries qui résumaient l’histoire de l’Europe, l’histoire des miens.
J’embrassais les trésors des Espagnes venus des Indes occidentales sur les galions des flottes de l’or. J’embrassais les trésors des caravelles portugaises qui avaient découvert les côtes d’Afrique, année après année, cap après cap, «por mares nunca navegados» Il y a plus longtemps encore, avant de doubler enfin Bonne-Espérance. J’embrassais les trésors des naus et des caraques lusitanes qui avaient sillonné dès lors toutes les mers d’Orient pour en ramener épices, fins voiles de soie, porcelaine, perles et pierreries et tous ceux des galions et des naus marchandes venues des lointaines Amériques. Et j’embrassais les trésors aussi des navires des Compagnies des Indes que les autres puissances maritimes européennes allaient lancer à leur tour à la poursuite des caraques et des galions pour leur arracher le monopole de la fortune.
Mais j’anticipe.
Au départ, parmi les entreprises plaisamment périlleuses, j’avais choisi la spéléologie et la plongée souterraine en siphon dans les cavernes inondées des Ardennes belges, puis, plus tard, la plongée profonde expérimentale aux mélanges, en saturation, dans les premières maisons sous la mer. (J’étais à cette époque chef de plongée du projet Man-in-Sea de l’océanologue américain Edwin Link, que soutenait la U.S. Navy.)
Trésors des mers : L’histoire engloutie est un récit autobiographique, écrit par Robert Sténuit qui retrace sa vie de chercheur d’épaves.
Robert Sténuit est l’une des grandes figures de l’archéologie sous-marine actuelle. Il est à l’origine de l’invention de nombreuses épaves
.
Trésors des mers : L’histoire engloutie est paru aux excellentes Editions du Trésor.
Pour commander l’ouvrage :